Analyse des eaux usées et Covid : interview de l'équipe de chercheurs de l'IUT Louis Pasteur

Surveiller le Covid, malgré tout : comment ces chercheurs de l'IUT Louis Pasteur traquent le virus dans les eaux usées

Extrait de l'article publié 01 février 2023 dans Le Parisien.

Nos eaux usées sont de véritables témoins de l’évolution de l’épidémie. Comme à Strasbourg, des virologues les recueillent et les analysent jusqu’à leur faire livrer leurs secrets, alors que de nouveaux variants pourraient émerger sur le territoire. Une technique qu’ils aimeraient développer pour la recherche d’autres virus.

Sur le site alsacien de Brumath, dont il est responsable, c’est Eddy qui remplit chaque semaine un flacon de 500 ml d’eaux usées, et l’envoie à 20 minutes de là, dans un laboratoire près de Strasbourg.

Lui-même a pris le pli. Pour savoir où en est l’épidémie de Covid-19 en France, Eddy Wietrich ne se réfère plus au nombre de nouveaux cas quotidiens, mais à ce que "sa" station d’épuration lui révèle de l’avancée du virus. Sur le site alsacien de Brumath, dont il est responsable, c’est lui qui remplit chaque semaine un flacon de 500 ml d’eaux usées, et l’envoie à 20 minutes de là, dans un laboratoire près de Strasbourg. Les données y sont analysées, puis rendues publiques.

« C’est mon indicateur à moi ! Selon les résultats, je fais plus ou moins attention. Le Covid, je l’ai eu une fois, je préfère éviter une deuxième... » lâche Eddy devant les bassins où sont rejetées les eaux domestiques - des WC, salles de bains, cuisines - de 21 000 habitants alentour. Celles-là mêmes qui vont livrer une partie des secrets du SarsCov2 : sa présence, sa quantité, son évolution, alors que XBB.1.5, un sous-variant d’Omicron, se propage rapidement aux États-Unis. Même si la France met fin ce mercredi 1er à son isolement systématique des cas positifs
et aux arrêts de travail dérogatoires, les experts en sont sûrs : il faut maintenir la vigilance afin d’anticiper la survenue de nouvelles vagues ou mutations.

Faire parler les eaux usées, c’est le job de Clémentine Wallet, chercheuse en virologie dans un département de biologie, logé au cœur de l’IUT de Strasbourg. « Le virus se multiplie dans les voies respiratoires, mais il est aussi très présent dans les selles, et ce, que la personne infectée ait des symptômes de la maladie, ou non, explique-t-elle.
C’est donc très intéressant de faire des prélèvements dans les stations d’épuration. » Une fois l’échantillon d’eau en main, la mission est lancée : aller « piéger » le virus.

Isoler - extraire - tester
Gants bleus, lunettes sur les yeux, blouse noire, les équipes se mettent en place le long de la paillasse. Il faut d’abord « lyser », comprendre ouvrir tous les virus et les bactéries pour pouvoir ensuite isoler leur ARN, en les aimantant grâce à des billes de silice. Dans le tube à essai, on voit d’infimes points noirs se coller aux parois. Après des étapes de lavage et de purification, l’ARN est désormais ultra-concentré. On peut l’interroger grâce à un test PCR, la même technique que pour les prélèvements dans les narines dont nous sommes maintenant coutumiers. « Cela permet de dire s’il y a du SarsCov2. Et combien il y en a », résume Clémentine Wallet.

 

Ici, onze stations d’épuration alsaciennes sont ainsi scrutées, en collaboration avec le réseau Obépine, l’observatoire épidémiologique des eaux usées qui va collecter les données brutes et les « corriger ». Les calculs ne sont par exemple pas les mêmes s’il y a eu beaucoup de pluie, qui dilue les eaux, ou si le temps est sec. « Coup d’avance sur l’épidémie » Mais à quoi ça sert ? « A avoir, aujourd’hui encore, un coup d’avance sur l’épidémie ! » répond Olivier Rohr, directeur du laboratoire, spécialiste du VIH, qui avant le Covid, n’avait jamais « touché » aux eaux usées. « Elles ont un côté prédictif, en devançant de plusieurs jours les autres indicateurs. Elles nous permettent donc d’anticiper les vagues », pointe-t-il. Sur l’ordinateur, c’est
particulièrement flagrant à l’automne 2021, où on voit le virus monter d’abord dans les eaux usées, signe annonciateur de l’alors cinquième vague.

« C’est un véritable outil de santé publique », défend le professeur de virologie qui espère désormais appliquer la technique à d’autres virus, comme la grippe, la rougeole, la dengue... Au sein du labo alsacien, une Aquatech est en projet, sorte de biobanque avec des échantillons d’eaux congelées que l’on pourrait faire parler - même rétrospectivement - pour dater la présence d’un virus qui deviendrait problématique.

Une vigie... de l’efficacité vaccinale !

Mais à Brumath ce jour-là, comme un peu partout en France, le Covid, se repose « On voit nettement une tendance à la baisse », note Léo Di Jorio, le technicien qui nous montre à l’écran les taux qui s’affaissent, sans disparaître pour autant. Le virus reste présent, même quand le nombre d’hospitalisations, lui, diminue. « C’est un signe de l’efficacité du vaccin, soulève Clémentine
Wallet. Du virus mais peu de malades, cela montre qu’il n’y a pas d’échappement vaccinal. » Quand un verre d’eau fait office de vigie scientifique !

Crédit photo : Clémentine Wallet à l'IUT Louis Pasteur, à Schiltigheim, ce 23 janvier (Le Parisien/Olivier Arandel) Le Parisien